Notre propos n’est évidemment pas de prôner l’infidélité comme réussite du couple, ce qui serait complètement absurde ! En effet, il existe des couples qui durent grâce à l’infidélité de l’un des conjoints…
Le discours infidèle
Dans l’article Le genre de la souffrance amoureuse (1), Marie-Carmen Garcia analyse les propos des auteurs de blogs infidèles. Elle met en évidence que derrière l’amoralisme concernant les normes conjugales et sexuelles, une très forte morale perdure concernant les normes familiales.
Les différences qui existent entre les auteurs de blogs porte sur le rapport qu’ils entretiennent avec leur conjoint, ou plutôt l’image qu’ils en donnent à lire.
Dans le premier type de blog, les auteurs mettent en avant une « image conventionnelle du bonheur conjugal valorisant les années passées ensemble, la construction d’une famille, l’élaboration de projets communs, le soutien mutuel, la réussite sociale du couple et une sexualité considérée comme épanouie. »
Dans le second, « le conjoint ou la conjointe sont valorisées physiquement et sexuellement au même titre que les amants et maîtresses (…) Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces personnes dépeignent une conjointe ou un conjoint parfait. L’explication qu’ils donnent de leur double vie (…) repose sur le fait qu’ils se pensent naturellement infidèles. »
Dans le troisième cas, « d’autres blogueurs et bloggeuses présentent quant à eux, une image en demi-teinte de leur mari ou de leur épouse. Les conjoints sont montrés comme de « bonnes épouses », de « bonnes mères » ou bien comme de « bon pères » et de « bon maris » mais ils ne seraient pas à la hauteur des attentes de leurs conjoints (sexuelles, affectives ou mêmes intellectuelles). »
Le sexe avant tout ? (2;3)
Ce serait une grave erreur de croire que seule la recherche de la satisfaction sexuelle motiverait l’infidélité ! Au contraire, le sexe servirait plutôt à masquer ce qui se joue chez le sujet et dans la relation à son conjoint pour le conduire à l’infidélité…
Daniel, gérant d’entreprise, profitait de chaque vacances d’été de sa famille pour accumuler les conquêtes passagères : « ce sont mes vacances à moi, mes véritables vacances (…) Après quoi je ne les revois plus jamais bien entendu. Mais je suis tranquille le reste de l’année. Je peux dire que j’ai acquis le rythme de croisière qui m’équilibre et équilibre ma famille. »
Amélie, « pourvue d’enfants et d’un mari qu’elle dit aimer et apprécier, n’a tout de même pas réussi à le séparer suffisamment à son goût d’une mère, veuve, dont il est le fils unique et qui, omniprésente, parasite la vie du couple en particulier pendant les week-ends à la campagne. Elle s’est alors mise à inviter des couples d’amis en week-end et s’est arrangé pour faire comprendre à l’invité ce qu’elle attendait de lui (…) C’est à ce prix que je préserve mon équilibre et que je peux vivre mon quotidien comme le souhaitent mon entourage et mon mari en particulier. Si vous saviez comme je peux être aimable avec ma belle-mère. » Elle-même s’étonne de n’éprouver ce besoin qu’à la campagne.
Richard et Claudine sont très liés sentimentalement. Mariés depuis 10 ans, ils sont parents de deux enfants lorsque Claudine apprend les infidélités de Richard. Or, il semblerait qu’il aurait toujours eu des aventures « uniquement sexuelles », en lien avec une absence de désir très ancrée chez elle. Cette impossibilité pour eux de se lier sexuellement conduit Richard à des conduites infidèles.
En reprenant leur histoire, le symptôme du sexuel a toujours été présent. Claudine, femme très pratiquante, n’envisageait pas d’avoir de rapports avec lui avant qu’ils ne soient mariés. Ces aléas vont durer 4 ans. Fragile dans son identité, elle tente de s’équilibrer par la maîtrise et le contrôle de son désir et de sa sexualité : il lui est impossible de s’abandonner à l’autre, de se laisser pénétrer par l’autre et de se laisser aller à ressentir une très grande excitation.
Seulement, l’incapacité pour elle de côtoyer le plaisir via le désir, a ravivé les doutes et les angoisses de Richard quant à sa masculinité, ce qui le conduit à se rassurer hors de son couple par ses défenses habituelles de séduction et de « relations multiples légères ».
Ce n’est pas un hasard si la problématique de ce couple tourne autour du sexuel : ces deux partenaires ne semblent pouvoir se rencontrer, sauf dans une visée procréatrice. Ce qui ressort de l’analyse de leur couple, C’est qu’ils ont une relation conjugale de type fraternel, marquée par des aspects fusionnels : « on nous fait remarquer souvent que Richard et moi, nous nous ressemblons comme frère et sœur. »
L’infidélité de Richard a permis à Claudine de se débarrasser de la sexualité pendant 10 ans mais celle-ci lui revient par la découverte des autres femmes. Que dire à ce couple qui s’aime? Quelle solution peuvent-ils trouver pour rester ensemble malgré tout, puisqu’ils s’aiment et se complètent si bien dans d’autres domaines?
Alice et Jean forment un couple depuis plusieurs années. Un beau jour, Alice demande à Jean la permission de prendre un amant. Si au départ la situation est maîtrisée, peu à peu les choses se délitent et Jean finira par demander à Alice de mettre un terme à cette relation. Mais pourquoi un amant ? Alice, tout au long de leur union, n’a eu de cesse de faire passer les intérêts du couple avant les siens, se sacrifiant en quelques sortes pour la famille. De son côté, Richard a toujours eu peur de perdre Alice, et se rassure en développant une relation d’emprise avec elle. Les sacrifices d’Alice n’ont fait que renforcer l’emprise de Richard (ne pas travailler pour s’occuper des enfants etc.). Ici, l’infidélité a été le symptôme pour permettre à Alice d’exprimer à Jean l’emprise qu’il exerçait sur elle, tout comme un moyen pour tenter de s’en échapper. Alice prend un amant pour s’en servir comme instrument de différenciation et de séparation.
Si l’infidélité est un moyen pour elle de tenter de réaménager le mode de fonctionnement de leur couple, les répercussions du choix du symptôme leur permettra t-il d’en faire autre chose ? Richard pourra t-il supporter de ne pas fonctionner en emprise avec elle ?
Le comportement adultère vient prendre un sens psychique au sein de la relation, ce dont les individus qui le jouent n’ont parfois absolument pas conscience. Ils s’en saisissent pour mettre à distance l’autre, ou leur couple, se venger du partenaire ou encore trouver des gratifications à l’extérieur, ce qu’un couple qui dure et confronté au quotidien ne peut parfois plus offrir…
Bien entendu, d’autres enjeux sont également à l’œuvre pour que certains choisissent cette voie bien singulière, quand d’autres trouvent d’autres formes d’équilibre (ou de symptômes) à travers une pratique sportive, les sorties, la littérature, les voyages etc.
France Bernard
1- Marie-Carmen Garcia, « Le genre de la souffrance amoureuse. Souffrances et résistances de femmes « maîtresses » d’hommes mariés », Pensées plurielle2015/1 (n°38), p.123-141.
2- Aldo Naouri, Adultères, Odile Jacob, septembre 2006, pp.187-222
3- Eric Smadja, Le couple et son histoire, PUF, 2011