Anorexie Boulimie, les paradoxes de l’adolescence (livre)

Anorexie Boulimie, les paradoxes de l’adolescence

                                             de philippe Jeammet

5 à 13 % des adolescents sont victimes de troubles de la conduite alimentaire : 9 cas sur 10 sont des filles. Elles ont souvent tout pour plaire, tout pour réussir et vont pourtant s’enfermer dans une solitude profonde, prisonnières d’un comportement autodestructeur comparable à la toxicomanie.
« Ce dont j’ai besoin est ce qui me menace » : voilà sans doute le paradoxe caractéristique de l’adolescence. Cette contradiction que les anorexiques et les boulimiques ne parviennent pas à dépasser est au centre de leur comportement alimentaire. Mais ce n’est pas le seul paradoxe que présentent ces patientes : paradoxe de jeunes filles brillantes et lucides mais qui nient la gravité de leur état ; paradoxe d’une maladie addictive dans laquelle la satisfaction provient de la non-satisfaction du désir ; paradoxe de leurs relations aux autres dont elles ne peuvent ni se satisfaire ni s’affranchir
Comment réagir face à l’anorexie et à la boulimie ?

anorexie boulimie Philippe Jeammet nous propose une analyse en profondeur de ces pathologies de plus en plus répandues mais souvent niées par l’entourage proche. Il révèle, à travers de nombreux portraits, toute la vulnérabilité de ces patientes, expose leurs parcours souvent chaotiques et tente de comprendre les facteurs individuels, familiaux et culturels à l’origine de ces comportements.

Les troubles du comportement alimentaire

On dit que ce sont des addictions sans drogue. Ces pathologies sont de plus en plus fréquentes dans les sociétés postindustrielles, où l’offre alimentaire est surabondante. Inconnues des sociétés traditionnelles, les anorexies/boulimies sont un symptôme ethnopsychiatrique : elles expriment les problèmes non résolus d’une culture. Manger est un acte complexe, qui a de nombreuses dimensions : physiologique, symbolique, hédonique.

anorexie boulimie

L’anorexie et la boulimie peuvent former un couple paradoxal puisqu’il s’agit de maux assez semblables mais qui se manifestent par des symptômes assez opposés.

En premier lieu, ce qui les oppose sur le plan psychologique c’est que :

  • l’anorexique est dans la maîtrise de son appétit, de ses envies et de ses émotions ;

  • alors que la boulimique est dans la compulsion.

L’un et l’autre sont de façon très différentes des passionnés de nourriture. Plus l’appétit est réprimé, plus les envies de manger sont exacerbées et peuvent devenir des obsessions. L’un est l’image inversée de l’autre : l’un a peur de manger et de devenir l’autre, l’anorexique a peur de devenir boulimique car il a très envie de manger mais se retient beaucoup, et le boulimique rêve de devenir anorexique parce qu’il aimerait bien être capable de se retenir et de se maîtriser comme l’anorexique. Au fond, il y a beaucoup de problèmes communs mais les manifestations sont opposées.

Pour l’anorexique, le paradoxe réside dans le fait que plus elle est transparente, plus elle est vue. Dans sa relation à soi et aux autres, il y a également quelque chose de contradictoire puisqu’il s’agit de faire le contraire de ce qu’on désire. Souvent, l’anorexique essaie de montrer aux autres les aspects les plus héroïques du soi (admirable pour ses capacités de maîtrise), et va réserver les aspects les plus ingrats et insatisfaisants pour son entourage proche (les aspects dépressifs).

La mère est souvent l’interlocutrice privilégiée de ces personnes qui souffrent de troubles du comportement alimentaire ; et c’est souvent elle qui va être spectatrice de l’évolution de sa fille, même si dans un premier temps elle est dans le déni de cette évolution pathologique.

Les rôles parentaux sont souvent très partagés, de manière presque spectaculaire, c’est à dire un parent qui est bon et l’autre qui est perçu comme mauvais. Très souvent, l’anorexique réserve les plaintes et les aspects ingrats à la mère et les aspects positifs et gratifiants de la relation au père.

Les plaisirs dans les échanges avec les parents sont souvent très difficiles, les relations sont pleines de contraintes et à tonalité sado-masochiste notamment lorsque les parents sont conscients des troubles du comportement alimentaire et ont comme soucis majeur de faire manger l’anorexique ou d’empêcher le boulimique de manger. Ce sont des relations assez chargées, très conflictuelles, et c’est difficile de trouver des moments de plaisir partagé dans la relation.

La plupart du temps, les parents sont pendant longtemps dans le déni du trouble parce qu’ils croient tout connaître de leur fille, ils ont du mal à comprendre et analyser qu’il y a une part de leur fille qui leur échappe, qui est inconnue et qui ne correspond pas à la petite fille modèle qu’elle essaie de montrer en permanence.

Ce qui est difficile pour le sujet et qui va le bloquer dans sa guérison, c’est que de plus en plus la personne va s’identifier à ses symptômes, et aura tendance à se créer une identité à travers le symptôme. Ce symptôme pourra prendre un caractère fascinant pour les autres au point que l’anorexique se dit (inconsciemment le plus souvent) que : « si je ne suis pas anorexique, finalement qui suis-je ? Si je ne suis pas obsédé par la nourriture, qu’est ce que je suis ? Qu’est ce que je deviens ? »