Les phobies ou l’impossible séparation

                                                                                 d’Irène Diamantis

Il y a ceux qui redoutent les serpents, ceux qui craignent la nuit noire, ceux qui ne supportent pas les portes fermées, ceux qui haïssent l’avion, ceux que la perspective d’un lien amoureux effraie, ceux pour qui le plaisir sexuel est impossible, ceux qui se révèlent incapable de traverser les ponts, ceux qui évitent systématiquement d’emprunter les autoroutes… Chacun de nous apporte sa contribution à liste des phobies.

On réduit souvent la phobie à la peur de certains objets. Explication un peu courte, souligne Irène Diamantis, parce qu’elle manque l’essentiel : le vertige du sujet phobique, qui, au mépris de toute logique, s’installe dans un monde de suppositions où tout devient possible. Car la phobie est véritablement une maladie de la séparation. Alors que le sujet se construit en se séparant de sa mère, la phobie le ramène à un état fusionnel, hors du temps, qui lui interdit de penser.

Illustré de nombreux cas cliniques, un regard très novateur sur les phobies ordinaires et moins ordinaires.

Irène Diamantis, membre de la Société de Psychanalyse Freudienne, est psychanalyste. Elle a fait partie de l’équipe du professeur Jenny Aubry à l’hôpital Necker-Enfants-Malades et a enseigné à l’université Paris VIII et au Collège international de philosophie.

Les phobies

Les phobies

Phobie vient du terme grec « phobos »qui veut dire crainte soudaine, effroi. C’est Freud qui a individualité la névrose phobique ou hystérie d’angoisse.

Trois grands types de phobies sont actuellement décrits : les phobies de situation, les phobies sociales et les phobies simples.

La plupart des enfants présentent un état phobique vers 3 ans, qui n’a pas de caractère stable ni pathologique en lui-même, mis à part les phobies scolaires et certaines formes d’angoisse de séparation.

Selon Burns (1980), la prévalence de tous les types de phobies chez l’adulte est de 7,6% de la population générale mais seulement 2 à 3 % demandent un traitement. L’âge moyen de début est de 16 ans. Cependant, l’agoraphobie (peur à l’extérieur) débute en moyenne à 28 ans. La demande de traitement est surtout le fait des agoraphobes qui sont particulièrement handicapés.

La phobie est une peur spécifique intense dont le stimulus est projeté à l’extérieur, et fixé à certaines situations, certains êtres bien déterminés.

      1. Projection : l’angoisse qui appartient au sujet va être projeté à l’extérieur.

      2. Déplacement : L’angoisse ne sera plus à l’intérieur du sujet mais fixé sur un objet extérieur, et c’est l’objet extérieur qui va devenir l’objet de l’angoisse.

On peut alors définir la névrose phobique comme une affection caractérisée par la projection de l’angoisse sur des êtres vivants ou non, des situations ou des actes qui deviennent l’objet d’une terreur paralysante.

L’objet de la phobie est bien défini, bien connu et redouté du patient. Il est à l’extérieur, localisable dans le temps et l’espace. Il peut être rattaché à l’intérieur du sujet en particulier dans les phobies limites et les phobies d’impulsion, on s’éloigne ici de la névrose phobique.

La réaction du sujet  lorsqu’il se trouve en présence de cette situation, de ce facteur déclenchant, est une grande crise d’angoisse. Elle est vécue en tant qu’affect désagréable, pénible, attente d’un danger avec manifestations somatiques sous des formes aiguës. Il faut signaler la fréquence sinon la constance des vertiges, de la gêne respiratoire, des tendances lipothymiques (peut aller jusqu’à la perte de connaissance). Cette crise d’angoisse est souvent vécue avec l’impression de mort possible sinon prochaine.

I. Les symptômes phobiques

a. Conduites d’évitement

Le phobique évite les situations et les objets phobogènes. Ceci est particulièrement net dans les phobies de situation : le malade agoraphobe suit un trajet défini lorsqu’il sort de chez lui, tel autre prend les transports en commun ; un troisième, claustrophobe, évite l’ascenseur.

b. Conduites de réassurance

Le familier, l’habituel est rassurant : la maison, es objets usuels, et surtout les personnes aimées et proches. Une personne aimée de l’entourage peut servir de mesure de réassurance, mais cela peut être seulement un objet comme une boîte de lexomyl.

Secondairement, les mesures de réassurance peuvent devenir plus symboliques ; ce sont des gestes, des formules, des représentations mentales. Dans ce cas, on se rapproche de la névrose obsessionnelle.

C. Conduites contra-phobiques

Ce sont des conduites où le phobique affronte sa phobie. Ainsi, celui qui a peur du vide devient pilote de ligne, alpiniste par exemple.

=> Les autres symptômes sont fréquemment rencontrés dans toutes les affections sérieuses. Ils sont, pour une part, la conséquence des symptômes phobiques et du caractère du sujet.

D. L’inhibition

Les conduites d’évitement sont déjà des mesures d’inhibition de l’angoisse qui restreignent l’activité du sujet.

L’inhibition sexuelle est habituelle.

Souvent, les sujets phobiques ont du mal à envisager les situations nouvelles ; ils s’en tiennent à leurs habitudes parce que la nouveauté peut leur faire craindre la survenue inopinée de l’angoisse.

E. La dépression

Elle survient lorsque les désirs du sujet ne peuvent être assouvis en raison des restrictions amenées par des mesures contra-phobiques d’évitement. Elle survient aussi dans les phobies d’impulsion, en raison de la peur du passage à l’acte.

F. Les troubles sexuels

La névrose phobique de l’adulte s’accompagne d’une inhibition sexuelle plus ou moins importante et qui peut aboutir à l’absence d’activité sexuelle.

Chez l’homme, cette inhibition se traduit par l’impuissance d’érection ou par l’éjaculation précoce, chez la femme par la frigidité vaginale.

Cette inhibition dans les rapports sexuels a pour conséquence habituelle une activité masturbatoire.

II. Les différentes phobies

A. Les phobies de situation

  1. Agoraphobie

Les facteurs précipitants peuvent être la maladie ou bien une séparation par exemple.

C’est une phobie dans une situation précise (départ du domicile, rue, lieux publics, cinéma…), peur des espaces vides et d’une certaine étendue, peur des rues, des ponts. L’agoraphobe arrive assez rapidement à limiter son activité à un périmètre de sécurité qu’il ne peut dépasser qu’avec l’aide d’une personne amie ou celle d’une automobile.

  1. Claustrophobie

C’est la peur des espaces fermés. Ce que le sujet redoute, c’est la survenue dans cette situation de la crise d’anxiété aiguë qu’il vit comme un risque de mort (peur de l’asphyxie, de la suffocation, de l’écrasement). Le sujet ne supporte pas l’idée de devoir avoir recours à autrui pour entrer en communication avec l’extérieur.

  1. Phobies des moyens de transports

Peur insurmontable de prendre : le métro, l’autobus, l’avion, le train, beaucoup plus rarement la voiture.

Cette phobie participe de la claustrophobie et de la phobie de la foule.

Cette phobie met en œuvre des rationalisations diverses comme la peur de faire un malaise, la peur de mourir ou encore la crainte du regard des autres.

B. Les phobies sociales

La phobie sociale est définie par la peur pour un sujet de se retrouver dans une situation où il se trouvera exposé à l’attention particulière d’autrui et la peur d’agir car il risque d’être soumis à la critique, de se trouver dévalorisé, humilié.

  • peur de parler, d’écrire

  • peur du téléphone

  • de répondre à des questions

  • de passer un examen

  • de manger, de ne pas pouvoir avaler

  • de transpirer, de trembler

C. Les phobies simples

Peur isolée d’une seule situation ou d’un objet à l’exclusion de la peur d’avoir une crise d’angoisse.

  • Sang, soins dentaires, actes médicaux

  • Animaux (gros et petits, phobie infantile)

  • Vertige

  • Orage

  • couteaux

  • Phobie du noir (phobie infantile)

D. Les phobies d’impulsion

Ce sont presque toujours des phobies d’impulsion agressives, peur d’avoir envie de faire du mal à autrui ou à soi-même.

Les phobies d’impulsion suicidaire : peur de se défenestrer, phobies des armes blanches, ou encore phobie de se jeter sous le métro.

Les phobies d’impulsion homicides : phobie d’étrangler son enfant ou encore phobie des armes dans la peur de tuer autrui.

Dans les phobies d’impulsion, le facteur déclenchant n’est plus à l’extérieur. Le sujet éprouve une peur panique d’être poussé à perpétrer un acte agressif. On peut rencontrer des phobies d’impulsion dans la névrose phobique mais habituellement elles témoignent d’une aggravation de la pathologie.

E. Les phobies limites

L’éreutophobie : crainte de rougir en public et de l’angoisse qui en découle. Elle se rencontre surtout chez les jeunes gens. Elle entraîne au début l’utilisation de certains artifices mais arrive souvent à limiter de façon importante l’activité du sujet.

La nosophobie : Crainte des maladies et surtout des plus graves (cancer, leucémie, maladie mentale).

La dysmorphophobie : Crainte obsédante non justifiée d’une modification corporelle localisée, peur d’avoir un vilain nez, des cheveux mal coupés. L’éreutophobie est associée à des dysmorphophobies.

Birraux A., (1994). Éloge de la phobie. Paris, PUF. Coll. Le fil rouge.

Diamantis I., (2003) Les phobies ou l’impossible séparation. Paris, Éditions Flammarion