Corps…vous jouirez ?
Beaucoup de problèmes et d’inhibitions sexuels peuvent être dus à une méconnaissance du corps, des mécanismes biologiques ou encore par manque de dialogue avec son ou sa partenaire. L’apport de la sexologie dans ce domaine a été considérable et a pu aider de nombreux patients et couples. Se construire en tant que couple, c’est aussi construire une vie sexuelle (voir le livre du mois de décembre 2017 : Le petit Larousse de l’entente sexuelle pour une sexualité de couple épanouie 1).
Pour autant, est-il possible de jouir sans entraves, tout le temps et avec tout le monde comme l’idée peut se répandre dans le monde social ? Si on a pu penser que la libération sexuelle aurait pour conséquence une facilitation des comportements sexuels, éjaculation précoce, impuissance et frigidité sont toujours de la partie ! Finalement, la sexualité des femmes n’est pas moins conflictuelle que par le passé, et celle des hommes n’ont plus !
L’apport de la sexologie
La sexologie prend son essor dans la moitié du 20ème siècle, suite à la libération sexuelle de mai 68. Une de ses expériences fondatrices (W. H. Masters et V. E. Johnson (2)) a exploré la physiologie de la relation sexuelle. Elle fut réalisée pendant l’acte sexuel ou les séances de masturbation des participants. Toutes les recherches réalisées depuis ont apporté une meilleure connaissance de l’anatomie et de la physiologie des organes sexuels, et bien sûre des thérapeutiques adéquates pour de nombreux patients.
Mais une fois toutes causes organiques écartées, comment expliquer la persistance de certains troubles sexuels ?
La sexualité est d’abord individuelle et chaque personne y réagit différemment. En témoigne la variabilité des conclusions des études sur l’orgasme vaginal ! Tout simplement car il n’y a pas le corps d’un côté et les fantasmes de l’autre. La sexualité humaine est une psychosexualité. L’ouverture à la dimension inconsciente de la sexualité permet de comprendre comment des femmes ayant une anse colique à la place du vagin peuvent avoir des orgasmes ou encore ceux obtenus par des femmes africaines excisées.
Une sexualité inconsciente qui se construit depuis l’enfance
Le sexuel se vit et se construit dès la naissance, dans la relation avec les parents. Ils bercent, caressent, et prennent soin de leur bébé. Les différentes parties du corps de l’enfant deviennent des sources de plaisir, notamment lorsqu’elles sont sollicitées par l’adulte lors des soins ou de l’allaitement comme la bouche, l’anus et la zone uro-génitale. Cette excitation est diffuse au départ, c’est à dire qu’elle n’est pas reliée à une pensée précise chez le bébé. La recherche d’un gain de plaisir à partir de toutes les zones du corps (exemple du suçotement) a comme conséquence qu’il n’y a pas chez l’être humain une correspondance entre la pénétration et le sexuel. Ce dernier prend sa source à de nombreux endroits du corps (oreilles, nuques, bouche etc.). La notion de zone érogène ne définit pas simplement un lieu dans le corps, mais l’inscription du fantasme dans la chair.
Au cours de l’enfance se constituent des fantasmes et des désirs investit de libido (de sexuel) pour les personnes prenant soin de lui. Nous retrouvons le fameux complexe d’œdipe ! Puis, vient la période dite de latence avec le refoulement des fantasmes et de la sexualité infantile. C’est tout ce matériel inconscient qui imprime sa marque sur la spécificité individuelle de la vie sexuelle de chacun d’entre nous, mais c’est aussi elle qui peut devenir source de conflits à l’intérieur du sujet et entraîner des dysfonctionnement sexuels. L’inconscient contribue aussi bien à notre jouissance qu’à nous en empêcher en cas de conflit psychique (frigidité ou impuissance).
L’exemple de la domination masculine peut également éclairer notre propos : si la domination masculine se retire peu à peu de la réalité sociale et politique, les fantasmes sexuels, eux, restent bien présents : « pour simplement l’imager, on peut être un homme fervent défenseur et militant des droits de la femme et ne parvenir à éjaculer que si la femme est en levrette. L’inconscient fait de la résistance, il est politiquement incorrect. » (3)
Voilà notamment pourquoi la libération sexuelle ne traduit pas pour autant une levée du refoulement et des conflits psychiques ! La sexualité humaine est une psychosexualité, le noyau est inconscient et elle s’enracine dans la sexualité infantile.
L’histoire d’Hercule (4)
Nous choisissons d’évoquer l’histoire de ce patient devenu fétichiste du caoutchouc. Cela peut sembler un peu particulier comme illustration mais l’histoire d’Hercule montre bien comment il a construit ses fantasmes enfant, dans la relation à sa mère prenant soin de lui, et comment, une fois à l’âge adulte, cette sexualité infantile demande à s’exprimer pour qu’il puisse accéder au plaisir.
Hercule est un homme de 35 ans qui vient consulter car depuis quelques mois, sa compagne ne supporte plus qu’il ait besoin qu’elle porte un tablier en caoutchouc pour la désirer… Il peut lui faire l’amour sans mais il n’en éprouve alors que peu de plaisir. Mais comment a pu se constituer une telle fixation ?
Lorsqu’ Hercule raconte son enfance, il évoque l’investissement assez obsessionnel des tâches ménagères chez sa mère. Elle ne faisait rien dans la maison, y compris prendre soin de lui, sans porter un de ses nombreux tabliers en caoutchouc. Pour Hercule, « le caoutchouc devient alors, de manière assez étrange, le principal représentant de la féminité maternelle. Les tabliers de caoutchouc prennent place dans la catégorie des « jolis vêtements ». Ils évoquent la coquetterie maternelle et résument ainsi les représentations que l’enfant se donne de la féminité. » Devenu adulte, il éprouve le besoin que sa femme en porte, de sentir le caoutchouc pour que l’excitation sexuelle soit au rendez-vous…
France Bernard
1-Dr Laura Berman,Le petit Larousse de l’entente sexuelle, pour une sexualité de couple épanouie, Editions Larousse 2011 (traduction française)
2-Aldo Naouri, Adultères, Odile Jacob, 2006
3- Jacques André, La sexualité masculine, Que sais-je ?, PUF 2013
4- Didier Dumas, « Un cas de fétichisme du caoutchouc ou l’impossibilité d’idéaliser le sexe paternel », In La sexualité masculine, Editions Albin Michel, 1990