La plainte des maîtresses d’hommes mariés

 

D’un point de vue extérieur, on ne comprend pas vraiment ce qui pousse ces femmes à rester des années durant des maîtresses d’hommes mariés. Lorsqu’elles en parlent autour d’elles, elles font ressentir à quel point ce qui les lie à ces hommes est irrationnel, c’est à dire à quel point des tendances inconscientes les font s’enliser et rester à la merci de cette situation. Dans l’attente permanente, seuls de brefs moments vécus dans une grande excitation viennent illuminer leur relation.

« Je te donne tout, et toi ? »

Craignant d’être quittées si elles réclament ce dont elles ont véritablement envie, elles se soumettent constamment à ce que l’autre leur impose. Elles attendent alors patiemment de prendre la place de la femme, de l’épouse.

Du côté des hommes mariés, c’est justement à travers cette configuration qu’ils trouvent leur équilibre : d’un côté, l’épouse, la mère, source de tendresse, et de l’autre celle avec qui ils vivent leur sexualité, une femme objet de désir.

La relation est profondément asymétrique du point de vue des attentes et des implications affectives : alors que lui attend d’elle l’assouvissement de ses désirs sexuels, elle, attend tout de lui : tendresse, amour, sexualité.

Ce type de relation entraîne une très grande souffrance morale. Dans leurs discours, il revient souvent qu’elles ne peuvent adresser des demandes à l’autre, et que dans tous les cas, leurs rencontres et leurs échanges dépendront du temps que pourra accorder/trouver le mari par rapport à sa famille. Elles se retrouvent constamment dans un état de frustration, de désir inassouvi et d’attentes de preuves d’amour :  » Certaines femmes témoignent de leur extrême souffrance lorsqu’elles se définissent amèrement comme des « putes gratuites »(Le genre de la souffrance amoureuse 1).

La souffrance est d’autant plus accentuée que cette relation doit rester cachée. Le « caché » est facilement associée à la honte, en même temps qu’à un grand désarroi : aucun partage d’anniversaire, de Noël, ne pas connaître ses amis, sa famille. 

Le sexuel comme fondement des relations

Souvent, ces relations vont se résumer à la dimension sexuelle, à l’assouvissement des désirs masculins. La peur du mari de s’investir avec une autre femme ou la peur que la relation vienne prendre trop de place et qu’ils finissent par être découvert jouent également un rôle. Du côté des maîtresses, la crainte de le perdre si elle le frustre, peut les amener à tout accepter de lui. 

Ces femmes sont particulièrement attentives à satisfaire sexuellement leur partenaire « attention qui par ailleurs les renvoie – lorsque leurs besoins affectifs ne sont pas reconnus ou satisfaits par l’homme – symboliquement aux relations prostitutionnelles et génère un sentiment d’humiliation spécifique ». (1)

Si le désir n’est pas intriqué à l’amour, elles risquent de vivre un sentiment de déchéance, d’être radicalement renvoyées à l’éprouvé de n’être que ce petit bout de corps accrocheur du désir, à la place de prostituée, désirée, pénétrée.

Je me « shoot » de toi

Malgré la description qu’elles font de leurs états émotionnels, elles ne peuvent pour autant y mettre un terme, elles y sont liées coûte que coûte. Le vocabulaire qu’elles emploient pour qualifier ces relations a certaine résonance avec le vocabulaire des toxicomanes, ce qui montre combien la dépendance à l’autre est forte, et combien le besoin impérieux de l’autre doit être assouvi. La relation est inarrêtable. Ces éléments renvoient à l’extrême souffrance qu’elles subissent de la part de l’autre, et le besoin de l’objet extérieur (le mari), lui seul pouvant leur donner le « shoot » lorsqu’elles le voient et le manque absolu lorsqu’il s’en va.

Le rappel de la dépendance vient signaler le type de relation qu’elles mettent en place : elles feraient parties des personnalités que l’on appelle dépendantes.

Chez ce type de personnalité, l’autre est investit comme un objet de besoin. Son rôle est de combler le manque insupportable qu’elles peuvent ressentir. C’est d’ailleurs pour cela que les personnes souffrant d’addictions ont souvent ce type de personnalité, sauf qu’eux, pour s’extraire de ce manque insupportable de l’autre, s’imagine que le toxique va les en extraire (mieux vaut la substance que vivre en manque de l’autre!), et c’est alors le toxique qui devient l’objet censé les combler.

Cela questionne enfin ce qui se joue inconsciemment chez elles et qui les poussent, contre leur gré, à se laisser « maltraiter » par l’autre, à se mettre dans une position où elles subissent, où elles ne s’autorisent pas à réclamer une vraie place, à affirmer leurs propres désirs, et finalement à se mettre dans des relations où la seule place qu’elles obtiennent est celle qui les fait tant souffrir : n’être qu’un objet sexuel.

France Bernard

(1) – Marie-Carmen Garcia, « Le genre de la souffrance amoureuse. Souffrances et résistances de femmes « maîtresses » d’hommes mariés », Pensée plurielle 2015/1 (n°38), p. 123-141.

    

Le couple et son histoire

Le couple et son histoire

                                    D’Eric Smadja

Le couple et son histoire révèle toute la complexité de cette réalité conjugale, vivante et composite – corporelle, sexuelle, psychique et socioculturelle – évoluant selon une temporalité intriquée et s’inscrivant à l’entrecroisement de plusieurs histoires. Elle est traversée par une pluralité de courants d’investissements pulsionnels antagoniques et animée par des conflictualités multiples, internes et externes, en tension permanente entre elles.

L’ouvrage suit le découpage narratif de plusieurs histoires choisies : socioculturelle, épistémologique, « naturelle » (celle du cycle de vie conjugale scandée par des étapes critiques et mutatives), et thérapeutique (celle du couple entreprenant un travail psychanalytique).

Elles sont traitées suivant une approche pluri et interdisciplinaire (historique, sociologique, anthropologique et psychanalytique) qui permet d’esquisser une représentation générale et intelligible, mais irréductiblement hétérogène, de cette réalité conjugale, notamment contemporaine.

Psychiatre, psychanalyste, membre de la Société Psychanalytique de Paris, thérapeute de couple et de famille, Eric Smadja est aussi anthropologue. Lauréat du prix de la contribution exceptionnelle à la recherche psychanalytique décerné par l’Association Psychanalytique Internationale en 2007, il a écrit notamment Le rire et Le complexe d’œdipe, cristallisateur du débat psychanalyse/anthropologie.