Anne Sexton (1928-1974), poétesse américaine : « Ce n’est pas que je suis belle, c’est juste que je sais faire en sorte que certains hommes tombent amoureux de moi. L’effet de cette chose là est plus fort que l’alcool. Ce n’est pas pour coucher avec eux, c’est comme un rituel. Si je veux aller plus loin, je n’ai qu’à dire : j’ai besoin de toi … Quand j’y songe, vraiment, je me dis que je vais en crever, c’est une vraie maladie ; ça va détruire les enfants, briser mon mari et l’idée que n’importe qui se fait de moi. Depuis que ma mère est morte, je veux toujours avoir le sentiment que quelqu’un est amoureux de moi. Un sacré narcotique que d’avoir des gens amoureux de moi. »
La littérature sentimentale, lorsqu’elle traite de l’amour adultère, nous parle de caresses, de paroles, de mots doux de l’amant, mais parle peu de l’acte sexuel en lui-même. Elle permet à la lectrice de jouir de l’image d’une mère idéale et bénéfique cachée sous les traits d’un amant protecteur et surtout caressant. Le modèle d’un amour adultère véhiculé par les auteurs féminins au fil des siècles (1) s’appuie sur une double nécessité : du ressourcement narcissique que procure l’amant (bon pour l’ego d’être aimée et désirée par un homme), et de la présence d’un tiers dans la relation passionnelle qui empêche de s’y perdre, le mari.
Bien que la demande de la femme adultère s’adresse à deux hommes (le mari et l’amant), elle dissimule en fait une demande homosexuelle inassouvissable à la mère des origines.
Derrière l’amant, la mère
La passion qui submerge, l’impression de fusion avec l’autre, les mots ne sont parfois pas assez fort pour décrire cet état par ceux qui le vivent. Les mots manquent. Cet état est en quelque sorte une reconstruction, après-coup, de l’amour rêvé avec la mère…
L’amant enveloppe la femme grâce à ses caresses et ses mots, il l’amène à régresser vers l’univers maternel des premiers temps de la vie, univers de fusion, remplit d’un amour idéal et donc inatteignable. Replonger dans cet univers permet alors à la femme de se croire, un court moment, l’unique objet d’amour.
Les descriptions écrites par des femmes de ces instants restent flous, diffus, et ce n’est pas tant par pudeur plutôt que par nécessité d’en rester au sentiment diffus mais pleinement satisfaisant d’un état de régression, de l’ordre du mythe, du mythe d’un amour inconditionnel. L’amant lui permet de vivre dans un état où les illusions sont les plus fortes.
Mais dans ce désir de re-trouvailles avec la mère idéale, la distance est nécessaire, sinon la passion pourrait bien s’avérer fatale. Les faits divers d’ailleurs ne manquent pas qui nous en montre les dangers.
Le garde-fou
C’est d’ailleurs la fonction du mari de venir empêcher que cet état passionnel ne vire au cauchemar. C’est parce que la femme l’a intériorisé comme tel, dans sa psyché, que cela fonctionne.
Le mari représente le monde du mariage et de ses lois et fonctionne comme un cadre réconfortant avant de se lancer dans l’aventure (ce lit étranger) de l’adultère : sous l’aile protectrice du mari la relation adultère peut être vécue dans ses composantes les plus régressives. Le rôle du mari est de maintenir un cadre à la régression que s’autorise la femme dans la passion adultère, pour éviter qu’elle ne s’y perde.
Le secret est ici nécessaire, avec un mari mis en position de garant du cadre de la loi, et un amant pour la transgresser. C’est alors que l’adultère peut être vécue dans un état de passion « contrôlée », sans risquer pour autant de perdre les avantages du mariage. Si la relation adultère vient à se terminer, elle pourra puiser dans la relation avec son mari pour s’en remettre et y trouver du réconfort pour faire face à la perte.
France Bernard
(1) A. Houel, L’adultère au féminin et son roman, Armand Colin, 1999